Caractéristiques de la réflexion philosophique

La
réflexion philosophique est caractérisée par la critique. L’esprit
critique est un esprit d’analyse et d’examen ; il s’oppose au sens
commun. Philosopher, c’est se poser des questions en permanence et Karl
Jaspers l’a résumé en ces termes : « Les questions en philosophie sont
plus essentielles que les réponses et chaque réponse devient une
nouvelle question ». En philosophie, les questions ne sont pas posées,
elles se posent ; mieux, elles s’imposent. Parler des caractéristiques
de la réflexion philosophie revient à dire ce qu’est la philosophie et à
l’opposer au mythe, à la religion et à la science.
1- Philosophie et mythe
Le
mythe est un récit imaginaire où interviennent des êtres surnaturels
dont l’action serait à l’origine du monde. Le récit mythique est cru de
façon dogmatique par les membres du groupe social, on ne le critique pas
: on y croit sans chercher à avoir des preuves. Exemple de mythe, on
peut citer l’histoire d’Adam et d’Eve. En effet, d’après les religions
révélées, Adam et Eve ont été chassés du paradis pour avoir désobéi à
Dieu. Ensuite, ils ont été envoyés sur terre où ils seront obligés de
travailler pour vivre. Ce récit a pour fonction de justifier l’origine
du travail. Mais, il ne faut pas croire que le mythe est irrationnel. Au
contraire, elle témoigne d’une « rationalité » certes différente de la
pensée philosophique. En fait, à l’instar de la philosophie, le mythe
aussi cherche à fournir une explication du monde, des phénomènes divers
pour apaiser la curiosité humaine. Fondamentalement, la différence
réside dans le fait que là où la philosophie se pose des questions, le
mythe apporte des réponses. Au demeurant, la philosophie et le mythe
sont deux domaines de la raison, mais différents par la démarche. Ils
s’efforcent d’apaiser la curiosité insatiable de l’homme.
Le mythe
a pour fonction de justifier ce qui existe, de dire comment les choses
sont ce qu’elles sont et pourquoi les hommes doivent adopter tels
comportements. Il est irrationnel alors que la philosophie est
rationnelle. Là où la philosophie se pose des questions sans prétendre
les solutionner, le mythe lui, apporte des réponses à toutes les
questions de l’homme pour apaiser sa curiosité. Dès l’avènement de la
philosophie, le mythe devait être dépassé. Pourquoi est-il toujours
présent dans l’œuvre de Platon ? Quelle place occupe-t-il dans sa
philosophie ? Dans l’œuvre de Platon, le mythe a une fonction
pédagogique. Pour expliquer quelque chose, Platon part de ce que les
Athéniens connaissent. Autrement dit, il les retrouve dans leurs
croyances pour leur expliquer des vérités a priori inaccessibles par la
raison. En bref, la philosophie se sert du mythe comme moyen
d’illustration d’un argument.
2- Philosophie et religion
Les
rapports entre la philosophie et la religion ont souvent été
difficiles. Un conflit existe entre elles : le philosophe est perçu
comme un athée tandis que le religieux est vu comme un borné ou comme
quelqu’un qui ne réfléchit pas. Tiré du latin religare, la religion
signifie lien que l’homme entretient avec une force extérieure nommée
Dieu et qui exige une soumission à lui. La religion est censée dire une
vérité absolue, incontestable, indiscutable pour le croyant. Ce dernier
considère comme vrai tout ce que disent les textes sacrés et il
interprète toutes choses en fonction de la religion. La religion est
fondée sur la foi et repose sur des dogmes, c’est à dire des vérités
absolues. A l’opposé, le discours philosophique est humain, libre et
critique. Ce n’est plus Dieu qui parle aux hommes, mais c’est un homme
qui s’adresse à ses semblables. Pour toutes ces raisons, la religion
s’oppose à la philosophie qui, elle, est fondée sur l’esprit critique
alors pour le croyant, le doute n’est pas permis. Le philosophe doit
avoir un esprit de doute et de remise en question. Avec son esprit libre
et critique, il s’attaque à tout, même à la religion. Cette dernière va
ainsi subir des critiques de la part de philosophes comme Karl Marx qui
la considère comme « l’opium du peuple ». Pour lui, c’est l’homme qui a
inventé Dieu. Nietzsche, pour sa part, proclame la mort de Dieu, tandis
que Sartre fera de l’existence de Dieu une présence sans incidence sur
le monde. A travers ces philosophes athées, il est aisé de constater que
philosophie et religion ont eu des rapports complexes depuis leur
origine, mais il serait exagéré d’y voir une opposition radicale. Loin
de s’exclure, elles entretiennent une relation réciproque.
Certes,
elles n’ont pas le même fondement, car la philosophie repose sur la
raison et la religion sur la foi. Mais à bien des égards, elles traitent
des mêmes questions. En effet, toutes les questions que soulèvent la
métaphysique comme celles qui sont liées à Dieu, à l’âme, au destin etc.
trouvent leur réponse dans la religion, de sorte qu’on a pu dire que la
philosophie pose des questions et la religion y apporte des réponses.
C’est ce que montre Blaise Pascal selon qui la religion et la
philosophie sont deux genres distincts. A son avis, l’homme est raison
et cœur et il peut atteindre la vérité soit par le cœur soit par la
raison. Mais Pascal précise qu’il y a des choses que la raison ne peut
pas savoir à l’exemple de Dieu, et c’est au cœur de le sentir. C’est
pourquoi il dit que « Dieu ne se prouve pas, il s’éprouve ». Poursuivant
cette même idée, il affirme dans sa Pensée 277 : « Le cœur a ses
raisons que la raison ne connaît pas ». Saint Augustin parle d’une
ressemblance entre religion et philosophie. Pour lui, il y a une
similitude entre les textes bibliques et ceux de Platon. Il sera amené à
conclure que la philosophie ne peut nous permettre d’atteindre la
vérité et qu’elle doit se subordonner (soumettre) à la religion. Saint
Thomas d’Aquin pense lui aussi que foi et raison peuvent atteindre la
vérité, mais il accorde la supériorité à la foi. Spinoza soutient que
entre la philosophie et la religion, il n’y a pas de parenté. Il dit : «
Ni la théologie ne doit être servante de la raison, ni la raison celle
de la théologie, mais l’une et l’autre ont leur royaume propre ».
3- Philosophie et science
a- L’histoire d’une rupture
Philosophie
et science sont nées au 6ème siècle avant Jésus Christ à partir d’une
rupture avec les premières approches du réel. Insatisfaits des
explications données par le mythe, la magie et la religion, les premiers
penseurs vont expliquer le cosmos en faisant appel à la raison. On
assiste, dès lors, à la naissance de la pensée rationnelle. Ces premiers
penseurs étaient en même temps des philosophes et des savants à
l’instar de Thalès, de Pythagore, d’Euclide, d’Archimède etc.
Philosophie et science ont donc cheminé ensemble pendant longtemps. Mais
petit à petit, les sciences se détachèrent de la philosophie et
constituèrent, chacune, un objet et une méthode spécifiques. C’est à ce
titre qu’on a pu dire que « la philosophie est comme une femme en
ménopause qui a cessé de procréer et dont les enfants devenus adultes
n’ont cessé de se démarquer d’elle pour se constituer en disciplines
autonomes ».
A l’origine, la philosophie était présentée comme la
mère de toutes les sciences. Elle était une discipline encyclopédique,
répondant au vœu d’Aristote qui la définissait comme le « savoir de la
totalité ou la totalité du savoir ». Au fil des siècles, les progrès des
sciences finissent par prendre le dessus en rendant impossible la
maîtrise du savoir total par un seul homme. La philosophie comme savoir
encyclopédique devient ainsi chimérique. La science prit alors son
autonomie avec Francis Bacon qui, au début du 17ème siècle, inaugure la
rupture en introduisant la méthode expérimentale. Dans le même siècle,
suivirent la physique avec Newton et Galilée, l’astronomie de Kepler. Au
18ème siècle, la biologie fera de même et les sciences sociales au
20ème siècle conclurent définitivement la séparation entre la
philosophie et la science. Il ne sera désormais laissé à la philosophie
que la logique et la métaphysique. Ainsi, de la pensée encyclopédique du
philosophe comprenant tous les domaines du savoir, émerge la pensée du
scientifique qui porte sur un objet particulier avec une méthode d’étude
particulière.
b- Différence de méthodes, d’orientations et de préoccupations
La
science est caractérisée par son objectivité alors que la philosophie
est marquée par la subjectivité. Lorsque les philosophes posent la même
question, ils y apportent des réponses différentes, subjectives. C’est
parce que chaque philosophie exprime les sentiments de son auteur, ses
convictions personnelles, ses croyances. Il y a une pluralité en
philosophie alors que dans les sciences il y a une unité. La science est
caractérisée par son exactitude parce qu’elle produit les instruments
de vérification de ses théories. La procédure de la science est
particulière : elle passe par l’observation, l’hypothèse,
l’expérimentation, la vérification et l’élaboration d’une loi
universelle. La science dit ce qui est en se posant le « comment », mais
la philosophie s’intéresse à ce qui devrait être et se pose le «
pourquoi ». Quand le savant se demande comment les choses se produisent,
le philosophe, par la spéculation, se demande le pourquoi des choses.
La science va du sujet vers l’objet : elle est cosmocentrique alors que
la philosophie va du sujet vers le sujet : elle est humaniste. Par
exemple Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi
l’homme existe-t-il pour mourir ? Philosopher revient à se placer du
point de vue axiologique, c’est-à-dire s’interroger sur la valeur de la
connaissance, de l’intérêt de l’existence etc. Où va l’homme ? D’où
vient-il ? Que lui est-il permis d’espérer ? Quelle est sa destinée ? Ce
sont là sont des questions intrinsèques à la philosophie.
La
philosophie et la science ne s’opposent pas radicalement. Elles sont, à
bien des égards, complémentaires. Car la philosophie réfléchit sur la
science et c’est ce qui fonde l’épistémologie. La philosophie redevient
une conscience de la science et non une concurrence pour celle-ci. Elle
s’érige en gardienne face aux dangers multiples que l’usage des
découvertes scientifiques fait courir à l’humanité. Pierre Fougeyrollas
écartait toute compétition entre la science et la philosophie en
affirmant : « Toute compétition entre la science et la philosophie
serait ruineuse pour celle-ci ».
Par ailleurs, même si la science
est une connaissance exacte, elle a cependant des limites internes et
des limites externes. Les limites externes concernent toutes les
questions qui sont hors de son domaine d’investigation, ce sont les
questions métaphysiques ou éthiques. Ces préoccupations sont prises en
compte par la philosophie. Les limites internes se rapportent à la
connaissance scientifique qui n’est pas figée, immuable : elle
progresse, ce qui explique le progrès scientifique. Il faut souligner,
enfin, que la science peut avoir sur l’homme un impact positif comme
négatif (les armes, les manipulations génétiques, la pollution de l’air
etc.). Et c’est précisément à ce niveau que la philosophie intervient
pour réfléchir sur la science. Cette réflexion est appelée
épistémologie.