LE ROMAN ET SES PRINCIPALES FONCTIONS.

Introduction.
Le
roman est un récit littéraire, c’est-à-dire artistique, relaté par la
voie de la narration, du dialogue et de la description, (les trois
formes textuelles) et représenté par des personnages en action. Ce récit
littéraire se distingue des autres récits prosaïques par la longueur
(on peut ainsi l’opposer à la nouvelle, par sa vraisemblance (il se
différencie sur ce point du conte), par sa forme artistique (éloignée de
celle des récits documentaires par exemple). Quoi qu’il en soit, le
roman ne date pas d’hier ; sa longévité et les différentes circonstances
pour lesquelles des écrivains y jettent leur dévolu justifient les
nombreuses fonctions qu’on peut lui attribuer, aussi bien pour le
romancier que pour le lecteur. Nous n’en retiendrons que quatre plus
essentiellement.
I. LE ROMANCIER PHOTOGRAPHE DU RÉEL.
Certains
écrivains puisent leur source d’inspiration dans la réalité. Ils n’y
apportent que quelques modifications (ajout de  décors symboliques ou de
scènes fictives, extraction de paroles digressives, invention de
personnages…) pour des besoins pudiques, esthétiques ou encore pour
éviter les formes de sanctions auxquelles cette production artistique
les expose quelquefois. Toujours est-il que l’histoire, elle, est
inspirée du réel (comme l’a dit Stendhal dans Le Rouge et le Noir au
chapitre XIX de la deuxième partie : « un roman est un miroir qui se
promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des
cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route »), puisque, pour
plusieurs romanciers, l’oeuvre d’art doit faire vrai, c’est-à-dire être
vraisemblable pour atteindre l’un de ces trois objectifs.
D’abord,
le roman peut se révéler comme un instrument efficace capable de
ressusciter le passé afin de rappeler à la nouvelle génération ce
qu’elle a oublié ou qu’elle a banalisé, car quiconque connaît bien son
passé gère bien son présent pour mieux préparer son avenir. C’est le cas
de l’oeuvre de Ousmane Sembène, Les Bouts-de-bois de Dieu, un ROMAN
HISTORIQUE où l’écrivain de la négritude met en scène toutes les
conséquences sociales de la grève des cheminots du Dakar – Niger, en
pleine époque coloniale.
En outre, pour d’autres écrivains, le
roman est un cadre idéal pour reproduire sa propre vie. En effet, des
romanciers relatent avec beaucoup de fidélité des événements dont ils
ont été témoins ou acteurs. C’est l’exemple du ROMAN ÉPISTOLAIRE ou du
ROMAN AUTOBIOGRAPHIQUE (même si l’auteur s’en défend) de Mariama Bâ
intitulé Une si longue lettre où l’histoire est un simple prétexte pour
fustiger toutes les habitudes peu catholiques des hommes irresponsables
envers des femmes vertueuses.
Enfin, d’autres encore utilisent le
roman comme moyen de révolte contre une injustice faite à la société par
des autorités uniquement dévouées à se remplir les poches. Que la
critique soit satirique, pathétique ou humoristique, chacun des tons
employés va dans le sens de démasquer les vrais responsables qui
maltraitent de pauvres innocents. À titre indicatif, on se rappelle des
romans de contestation produits par des écrivains négro-africains ou
encore le ROMAN SOCIAL ou ROMAN DE MOEURS des réalistes et des
naturalistes, à l’instar de Émile Zola qui décrit imperturbablement, à
l’image de Bonnemort dans Germinal, la misère, la fatigue, les risques
du métier, la vieillesse auxquelles est réduite la pléthorique classe
prolétarienne au grand bénéfice des bourgeois minoritaires.
II. LE ROMANCIER INVENTEUR DU RÉEL.
Avant
la découverte et l’utilisation, à portée de main, des nouvelles
technologies (radio, télévision, téléphone…), nombreux furent les
lecteurs qui cherchaient dans les romans (et jusqu’à présent) un moyen
de se soulager des soucis quotidiens liés au travail, à la famille, aux
sentiments, et de s’en éloigner, ne serait-ce que pendant quelques
instants de lecture. Nombreux également sont les romanciers qui leur en
offrent généreusement l’opportunité par le biais du livre, ce formidable
instrument qui permet de voyager sans bouger. En effet, la découverte
des lieux (parfois réels, célèbres ou historiques) très souvent
féeriques, côtoient si harmonieusement notre environnement immédiat ou
psychologique qu’on a l’impression d’y être allé. Les actions sont
multiples, les intrigues suscitent davantage la curiosité, sans parler
des héros avec qui nous sympathisons à telle enseigne qu’on oublie,
pendant le temps que dure la lecture, tous les soucis.
Ainsi, les
types de romans qui s’associent à ce projet sont les ROMANS D’AVENTURE,
les ROMANS D’ANTICIPATION, les ROMANS POLICIERS, les ROMANS DE JEUNESSE.
C’est exactement comme l’oeuvre de Jules Verne adaptée à l’écran sous
forme de dessins animés et intitulée Le Tour du monde en 80 jours ; en
compagnie de son domestique surnommé Passepartout, Phileas Fogg
déjouera-t-il tous les pronostics en réussissant son pari fou de faire
le tour de la terre en moins de deux mois et vingt jours, au beau milieu
du XIX ème siècle, alors que les moyens de transport moderne,
cahin-caha, n’en étaient qu’à leurs premiers balbutiements ? Telle est
la récurrente question que le lecteur se pose au milieu de tous ces
soubresauts, de ces coups de théâtre, de ces nombreux obstacles qui se
mettent en travers du parcours du héros. 
III. LE ROMANCIER PEINTRE DES PASSIONS.
Des
écrivains emploient aussi le roman afin de mettre en scène l’homme en
lutte avec ses propres sentiments. Les actions y existent mais elles
sont rares ; les plus fréquentes se passent de l’intérieur, dans la
psychologie des personnages. Les interrogations, les moments d’angoisse,
les dilemmes… constituent le lot quotidien auquel ceux-ci font face ;
la plupart sont en proie à des situations apparemment insurmontables.
Certains en sortent affranchis et agrandis ; d’autres en sont à jamais
esclaves. Le romancier trace ainsi au lecteur, de manière explicite ou
implicite, les voies et moyens à arpenter pour éviter les excès
passionnels qui aveuglent, surtout si on sait interpréter, à travers le
succès ou l’échec du personnage en question, si le résultat des actes
nécessitent qu’on s’en inspire ou qu’on s’en méfie, si la même chose
devait nous arriver un jour. Ces personnages sont certes des Ӑtres de
papier” mais rien ne les différencie du commun des mortels puisqu’ils
éprouvent des sentiments universels.
Ces romanciers qui illustrent
cette ambition s’expriment en général dans le ROMAN D’ANALYSE, le ROMAN
ÉPISTOLAIRE, le ROMAN AUTOBIOGRAPHIQUE… D’ailleurs, nous en avons
l’illustration avec La Princesse de Clèves, roman dans lequel Madame de
La Fayette décrit en détail les émois et la bataille psychologique où se
trouvent confinés les personnages, les uns pour attendrir ou conquérir
l’objet de leur passion (M. de Clèves et M. de Nemours), les autres (Mme
de Chartres et sa mère) pour le repousser avec délicatesse à cause de
la morale et la bienséance.
IV. LE ROMANCIER SOURCE INÉPUISABLE.
Quel
est le roman qu’on lit, de la première ligne à la dernière, sans en
tirer une connaissance ? Il n’y en a pas, tout simplement. Qu’un récit
soit réel ou fictif, il n’existe aucun moment de lecture qui ne soit
bénéfique à celui qui s’y adonne, même si l’on ne partage pas certaines
opinions que le romancier y développe. On est comme téléporté car on
voyage sans bouger du siège où l’on est assis. Ou on y assimile la
maîtrise de la langue (orthographe, grammaire, conjugaison,
vocabulaire…), ou on s’instruit par les sciences humaines (histoire,
biologie, zoologie…) ou on apprend une culture nouvelle (coutume,
habillement, croyance…), ou on en tire une leçon de morale (le bien
contre le mal).
Honnêtement, on ne peut lister avec aisance les
types de romans qui aboutissent à ce noble projet car tous les
romanciers, à quelques différences près, implicitement ou explicitement,
de façon consciente ou inconsciente, s’y illustrent diversement. Au
hasard, prenons l’exemple de L’Aventure ambiguë où Cheikh Amidou Kane
nous instruit sur la pratique de la religion musulmane et
l’apprentissage du texte sacré, sans parler de la culture au pays des
Diallobé. 
Conclusion.
Il
existe une infinité de fonctions qu’on peut attribuer au genre
romanesque, sans omettre que les formes ont tout le temps été
renouvelées, du roman traditionnel (Atala de François-René de
Chateaubriand) au roman baroque (le Tiers Livre de François Rabelais),
du roman de l’absurde (L’Étranger d’Albert Camus) au nouveau roman (Les
Gommes d’Alain Robbe-Grillet),  sans oublier le roman du roman (L’emploi
du temps de Michel Butor)… tout y passe ! Chaque romancier, selon les
besoins du moment ou le courant littéraire auquel il appartient, adapte
ce genre littéraire à son propre besoin. 
Voici
un sujet de dissertation, comme exercice à l’appui, pour asseoir et
parfaire davantage ce modeste résumé des principales fonctions du roman.
Sujet :
Émile
Zola avait dit : « j’aurais voulu aplatir le monde, d’un coup de ma
plume, en forgeant des fictions utiles ». Auriez-vous limité le roman à
la fonction engagée que le chef de file du naturalisme lui assigne
exclusivement ?
Bonne digestion !