Introduction
La raison de la lettre de Ramatoulaye est d’abord et avant tout les histoires d’amour, de deux amies déçues et trahies par leurs maris, qui se rappellent leur passé en s’écrivant des lettres. Le roman est donc très sentimental. Voilà pourquoi on peut lire le livre et entrer dans une colère : les hommes parce qu’on s’attaque à eux sans pitié, les femmes, puisqu’elles sont les jouets des hommes, du sexe fort comme on les surnomme dès fois.
De telles lectures risquent de nous cacher l’essentiel qui est un enseignement sur les différentes relations sentimentales. Le thème de notre exposé est l’amour ; mais la narratrice en parle à chaque fois qu’elle utilise les noms : passion, affection, attachement, ardeur, flamme ; et les verbes : aimer, adorer, chérir, estimer, affectionner, etc.
Ces mots renseignent sur le contenu de l’amour : le mot « amour » est trop utilisé, il sort de toutes les bouches si bien qu’il peut désigner n’importe quoi. Aussi d’autres mots sont devenus plus précis. Le terme « Passion » est plus fort, quand on aime une copine ou un copain, une épouse ou un mari par exemple. « Affection » renvoie à l’amour pour un parent proche (père, mère, fils, fille, nièce, cousine, grand-mère, grand-père…) ou un ami, une amie, un camarade, etc. le mot « flamme » veut insister sur la force de l’amour qui peut faire le malheur des personnes qui aiment. Quant au verbe « estimer », il est proche du respect, et « adorer » rapproche l’être aimé à une divinité (à Dieu). Notre exposé commence par des interrogations sur l’amour, puis nous verrons les problèmes que pose l’amour.
1. Qu’est-ce que l’amour ?
L'amour désigne un sentiment d'affection et d'attachement envers un être ou une chose qui pousse ceux qui le ressentent à rechercher une proximité par le corps, l’esprit et/ou le cœur.
On parle d’amour conjugal, d’amour filial, d’amour fraternel, d’amour maternel ou paternel, etc. Et on retrouve toutes ces amours dans le texte.
2. Qu’est-ce que l’amour selon les femmes du roman ?
Selon Aïssatou, la polygamie n'est établie que pour satisfaire la bestialité du sexe masculin. Lisons sa lettre de rupture expédiée à son mari : « Si tu veux procréer sans aimer, rien que pour assouvir l'orgueil d'une mère déclinante, je te trouve vil. Dès lors, tu dégringoles de l'échelon (page 90) supérieur de la respectabilité où je t'ai toujours hissé ».
Révoltée comme elle est devenue, elle ne peut pas comprendre comment il est possible pour un homme d'aimer plus d'une femme à la fois. La polygamie pour elle n'est en fait qu'un alibi pour l'homme qui cherche à donner libre cours à ses instincts sexuels et à « légitimer » son infidélité envers sa femme. Lisons comment elle répond à Tamsir :
« Tu oublies que j'ai un cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l'on se passe de main à main. Tu ignores ce que le mariage signifie pour moi : c'est un acte de foi et d'amour, un don total de soi à l'être qu'on a choisi et qui vous a choisi. (….)
Et tes femmes, Tamsir ? Ton revenu ne couvre ni leurs besoins ni ceux de tes dizaines d'enfants… Je ne serai jamais le complément de ta collection ». (Page 94)
3. L’amour vrai existe-t-il dans le roman ?
La rencontre avec Modou Fall (chapitre 6) et celle de la vie à ses côtés (chapitre 9) prouvent qu’entre Ramatoulaye et ce dernier, il s’agissait d’un mariage d’amour, contre l’avis leurs mères à tous les deux.
Relevons quelques exemples qui le certifient : « tu connais ma sensibilité, l’immense amour que je vouais à Modou » (p.82) « la saveur de la vie c’est l’amour. Le sel de la vie, c’est l’amour encore » (p.94)
Voici ce que Ramatoulaye affirme : « le mot « aimer » avait une résonance particulière » (p.28). Malgré le comportement de Modou, Ramatoulaye n’a jamais cessé de l’aimer, car dit-elle « (…) je reste fidèle à l’amour de ma jeunesse. Aïssatou, je pleure Modou et je n’y peux rien » (p.83)
Le vrai amour étant l’expression de sentiments libres entre deux personnes nul ne devrait se marier sous une quelconque condition, imposée par les parents fut-il.
Un seul homme offre ici l’espoir de disposer de cet amour, c’est Daouda Dieng. « Je viens pour la deuxième fois te demander ta main… j’ai pour toi les mêmes sentiments. L’éloignement de ton mariage, le mien n’ont pu saper mon amour pour toi, je t’aime avec une puissance… Je t’ouvre les bras pour un nouveau bonheur, veux-tu ?»
Il y a aussi le jeune Ibrahima qui, malgré son erreur, donne des signes d’espoir pour le bonheur de sa fille.
4. L’amour : une valeur
D’abord on peut croire que pour certains personnages, l’amour se résume à la sexualité. Là, c’est encore la narratrice qui s’explique : « […] Tu veux dissocier l’amour tout court et l’amour physique. Je te rétorque que la communion charnelle ne peut être sans l’acceptation du cœur, si minime soit-elle. »
Mais on voit aussi que la femme est considérée parfois comme un objet : Binetou a été utilisée par sa mère comme objet vendu à Modou. Celui-ci réglait tous leurs problèmes financiers. Cela pose le problème du mariage par intérêt. « Sa mère était une femme qui veut tellement sortir de sa condition médiocre », dit –elle.
5. De l’amour à la haine
Quand l’amour commence, suivi du mariage, il y a une sorte de contrat d’amour qu’on pas le droit de briser sans un accord entre les conjoints. D’ailleurs, du point de Jacqueline, c’est-à-dire de la chrétienne, l’union est pour la vie. Voilà pourquoi elle est une victime des effets de l’amour. Alors, ce qu’ont fait Modou, Mawdo et Samba Diack est une trahison.
« Et dire que j’ai aimé cet homme, dire que je lui ai consacré trente ans de ma vie, dire que j’ai porté douze fois son enfant. L’adjonction d’une rivale à ma vie ne lui a pas suffi. En aimant une autre, il a brûlé son passé moralement et matériellement, il a osé pareil reniement… et pourtant. Et pourtant que n’a-t-il fait pour que je devienne sa femme ! »
Une autre trahison, si on peut dire, c’est celle que Aïssatou, l’amie de la narratrice a vécue. Contre la tradition, elle a épousé par amour Mawdo Bâ, mais la mère de celui-ci lui a imposé comme co-épouse la petite Nabou, descendante de princesse, qu’elle a élevée et, pour ainsi dire « dressée », pour son fils.
« Modou mesurait-il à son exorbitante proposition le vide de sa place, dans cette maison ? Modou me donnait-il des forces supérieures aux miennes pour épauler mes enfants » (p.78).
« Attendre ! Mais attendre quoi ! je n’étais pas divorcée (…) j’étais abandonnée » (p.79)
Ramatoulaye enrage, étouffée par la jalousie, elle qui partageait jusque là avec Modou Fall trente années d’union et douze enfants.
Par ailleurs, Ramatoulaye est parfois étouffée par la jalousie, elle qui partageait jusque-là avec Modou Fall trente années d’union et douze enfants.
6. L’autre amour
Est-ce que, en rejetant leur mère, le mari peut-il toujours affirmer qu’il aime vraiment ses enfants ? La tradition ouolof dit que « celui qui aime la mère affectionne les enfants de cette dernière ». Modou n’est-il pas en train de se séparer de ses enfants ? Ne les a-t-il pas abandonnés en délaissant leur mère ? En tout cas cela pose un problème vrai envers ses enfants qui le rejettent, à commencer par Daba. « Je survivais. Plus je réfléchissais, plus je savais gré à Modou d’avoir coupé tout contact. J’avais la solution souhaitée par mes enfants – La rupture – (…) », dit-elle (p.77).
Ramatoulaye détourne son amour sur ses enfants et, par ailleurs sur son travail. Son métier d’enseignante la passionne et elle le vit comme une mission émancipatrice. Elle fait exprimer ainsi son amour maternel.
Conclusion
On vient de le voir, le thème du mariage occupe depuis très longtemps une place assez importante. Dans une si longue lettre, il se pose le problème du mariage par amour ou par autre chose. Les hommes pour satisfaire leurs appétits, des femmes comme Binetou pour un curieux commerce.
L’amour ne peut être une mauvaise chose. « Dieu est amour », dit-on. Il faut s’aimer soi-même, et aimer les autres, et aimer ce que l’on fait, notre métier. Là se trouve notre bonheur. La femme ne demande qu'à être aimée. La femme rend l'amour qu'on lui porte.
C’est comme si les couples voient leur « amour-fou » qui s’est transformé en « amour-flou ». Ramatoulaye devient un cœur vidé d’amour et avide d’amour.