Introduction
L’esthétique est la partie de la philosophie qui traite de l’art, l’art en tan que création du beau. Le dictionnaire Lalande définit l’art comme toute « production de beauté par les œuvres d’un être conscient ». Cette définition pose l’idée que l’art est une œuvre spécifiquement humaine. Le mot renvoyait à la technique, à toute technique permettant de produire un résultat. L’art était synonyme d’habileté, de savoir-faire ou de maîtrise. Exemple, l’art culinaire, l’art martial, l’art de gouverner etc. Ce n’est qu’au 18ème siècle que le terme est utilisé pour désigner les beaux-arts qui sont au nombre de 9. Quelles sont ces formes et quelles sont les fonctions de l’art ? Quels rapports l’art entretient-il avec la nature ? L’art est-il imitation de la nature ou création ? Le langage est-il apte à exprimer ce qu’on ressent face à une œuvre d’art ? Qu’est-ce qui motive enfin l’artiste à créer ?
I- L’art : imitation ou création ?
On a longtemps conçu l’art comme une imitation ou une reproduction de la nature. En effet, nous avons des beautés naturelles comme la mer, le ciel étoilé, le coucher du soleil, les fleurs etc. qui mériteraient d’être bien vues sur des tableaux. Et ces beautés naturelles devraient être représentées sur des tableaux telles qu’elles sont. C’est dans ce cadre que le peintre allemand Albert Dürer a dit : « Plus ton œuvre sera conforme à la nature, meilleure elle sera ». Platon aussi considère l’art comme une imitation, mais une imitation mensongère qui reproduit de fausses apparences du monde sensible fait d’erreur et d’illusion. Pour lui, l’artiste imite ce qui est déjà imité. Il y a donc chez Platon une dévalorisation de l’art, et c’est ce qui l’amène à dire qu’il faut chasser les artistes et les poètes de la cité, car dit-il, ce sont des illusionnistes qui imitent du faux.
Mais copier ou imiter, est-ce réellement faire de l’art ? En d’autres termes, l’art est-il imitation de la nature ? Aristote pense que non, il critique son maître Platon qui pense que l’art est une imitation. Pour Aristote, plus qu’une imitation de la nature, l’art achève des choses que la nature est incapable de réaliser. L’art serait une re-création. Il écrit : « L’art complète en partie ce que la nature ne peut pas achever », pour dire que l’art n’imite pas paresseusement, il transfigure. C’est la même idée que défend Kant. Il insiste sur la créativité de l’artiste qui ne doit pas se limiter à une simple imitation de la nature. Il écrit à ce sujet : « L’art n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle représentation d’une chose ». Autrement dit, une chose peut paraître laide, horrible ou tragique dans la nature, mais dès qu’elle est représentée sur un tableau, elle devient belle. Et c’est ce que Boileau a si bien expliqué dans cette formule : « Il n’est pas de serpent ni de monstre odieux qui, par l’art, imité, ne puisse plaire aux yeux ». Donc l’art n’est pas une simple imitation de la nature, mais un ajout. Cela peut être illustré par Guernica, célèbre tableau de Picasso où est représenté le massacre de la guerre d’Espagne. Dans la réalité, ces images inspirent le dégoût. Mais sur le tableau, elles plaisent à la contemplation. En somme, nous pouvons retenir avec Kant que l’art n’est pas une imitation, mais une création ou une re-création de la part de l’artiste qui doit, par son génie, ajouter une touche personnelle à la nature. On peut également convoquer Hegel qui soutient que l’art n’est pas imitation de la nature mais une création. Pour lui, en s’inspirant de la nature, l’artiste doit avoir l’esprit créatif et imaginatif pour produire du nouveau au lieu de reproduire ce qui est connu de tous. C’est en ce sens qu’il dit que « l’imitation de la nature est une occupation oiseuse et superflue » c’est-à-dire inutile. Hegel va plus loin en soutenant que ce qui fait la valeur ou la grandeur d’une œuvre d’art, c’est que l’esprit intervient dans la production. C’est ce qui l’amène à faire la différence entre la beauté naturelle et la beauté artistique. Pour lui, la beauté artistique est supérieure à la beauté naturelle, parce que grâce à l’esprit, on peut ajouter dans l’art ce qui ne figure pas dans la nature. En conclusion, on peut dire avec Hegel que l’art n’est pas une simple imitation des merveilles de la nature. Il est re-création, transformation, transfiguration de la nature au sens où l’artiste est celui qui, du laid, crée du beau. Car il dispose d’un don ou d’un génie que Vladimir Jankélévitch appelle ce « je ne sais quoi ».
II- L’interprétation de l’œuvre d’art
L’œuvre d’art demeure l’œuvre d’un homme qui a une histoire, qui appartient à une classe sociale et à un milieu. Cela suppose qu’une œuvre artistique est le reflet des préoccupations d’un homme ou de sa société. Pour les psychanalystes, à travers une œuvre d’art, on peut savoir qui se cache derrière et connaître sa psychologie. C’est pourquoi dans l’interprétation psychanalytique qu’il fait de l’œuvre d’art, Freud dit qu’il n’y a pas de mystère : « la production artistique est une forme de sublimation des désirs refoulés ». Il veut dire que ces désirs trouvent dans la création artistique un moyen de s’exprimer. L’art peut donc être considéré comme une manière détournée de satisfaire les désirs inassouvis, les peurs et craintes de l’artiste. Pour Freud : « L’artiste voudrait conquérir honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent pour se procurer ses satisfactions. C’est pourquoi, comme tout homme, insatisfait, il se détourne de la réalité et concentre tout son intérêt sur les désirs créés par sa vie imaginative ». L’artiste est un névrosé qui cherche à résoudre ses troubles dans sa création. Grâce à son œuvre d’art, il satisfait autrement ce qu’il ne pouvait réaliser dans la réalité. Freud donne l’exemple de Leonardo de Vinci et de Toulouse Haurec qui, affirme-t-il, ne font que transférer leurs personnalités sur leurs tableaux d’art. Il dit que si Leonardo de Vinci est un grand artiste et s’il sait peindre la femme comme nul ne peut le faire (exemple la Joconde), c’est qu’il est un obsédé sexuel. Quant à Toulouse Haurec, Freud dit que cet artiste doit son talent au fait qu’il compensait inconsciemment son infirmité en peignant un univers d’acrobates aux jambes souples et agiles. Bref, selon Freud, ce sont des complexes que nourrissent les artistes à travers leurs œuvres. Tout ce qu’ils ne peuvent pas avoir, ils le représentent sur un tableau d’art pour satisfaire leurs fantasmes.
Hegel aussi interprète l’art comme un lieu de transfert de la personnalité de l’artiste. Il estime que dans la transfiguration du monde, c’est toute une vision du monde de l’artiste qui intervient. On dit alors que l’artiste manifeste son imagination, exprime sa personnalité dans son œuvre, ce qui veut dire que l’œuvre d’art est le reflet de la personnalité de l’artiste.
Selon Karl Marx, l’artiste appartient à une société, à une classe, à un temps déterminé. En cela, il vit des problèmes qui sont spécifiques à sa société. Son œuvre reflète ses problèmes et permet de comprendre sa société. En d’autres termes, l’œuvre d’art doit avoir pour fonction de traduire la réalité sociale, elle doit être engagée. L’artiste crée pour rendre visible ce qu’il porte en lui. C’est en ce sens que Paul Klee a affirmé : « L’art ne reproduit pas le visible, il le rend visible ». Cela veut dire que habituellement, nous passons devant des choses auxquelles nous ne faisons pas attention. Mais il suffit qu’on les représente sur un tableau d’art pour qu’elles attirent l’attention, pour qu’elles soient visibles. Paul Valery confirme cette idée en disant : « Une œuvre d’art devrait toujours nous apprendre que nous n’avions pas vu ce que nous voyons ».
Au-delà de l’interprétation de l’œuvre d’art qui cherche à déterminer les motivations d’un artiste, on peut se demander si le langage est apte à exprimer ce qu’on ressent face à une œuvre d’art. En d’autres termes, peut-on réellement expliquer une œuvre d’art ? Tagor, poète indien, dit non. Il affirme : « Lorsqu’on me demande ce que signifient mes œuvres, comme elles je me tais. Il ne leur appartient pas de signifier, mais d’exprimer ». Kant s’est inscrit dans la même dynamique en disant à propos de l’œuvre d’art : « Sois belle et tais-toi ». Pour lui, devant une œuvre d’art, on ne peut que s’émerveiller et dire « Oh, que c’est beau ! ».
III- Formes et fonctions de l’art
L’art est multiforme et multifonctionnel. On relève 9 formes d’art appelées aussi beaux-arts. Ce sont la sculpture, l’architecture, la musique, la peinture la poésie, la rhétorique, le cinéma, la télévision et la bande dessinée. Quant aux fonctions, on note une opposition entre les philosophes : il y en a qui estiment que l’art joue un rôle et remplit des fonctions tandis que d’autres ne lui reconnaissent aucune fonction. C’est le cas de Kant qui considère que « le beau est une finalité sans fin », c’est à dire que la beauté est en elle-même sa propre fin. Devant une œuvre d’art, on ne demande pas à quoi ça sert, car dit Kant, elle ne sert à rien sinon qu’à susciter un sentiment de plaisir. L’art se limite exclusivement à la fonction esthétique. C’est ce qui amène Kant à dire que le beau est donc désintéressé. Non seulement il est désintéressé mais aussi et surtout il doit plaire à tout le monde, d’où la formule de Kant : « Le beau est ce qui plait universellement sans concept ». C’est à travers cette conception de l’art désintéressé que Kant est considéré comme le représentant de la théorie de « l’art pour l’art » comme ont le retrouve chez les parnassiens pour qui l’art ne sert à rien. C’est ce que Théophile Gautier traduit en ces mots : « Il n’y a vraiment de beau que ce qui ne peut servir à rien, tout ce qui est utile est laid ».
L’art pour l’art est opposé à « l’art engagé ». L’art engagé joue un rôle et remplit des fonctions, il est au service d’une cause politique ou sociale. Parmi les fonctions utilitaires de l’art, on peur noter la fonction thérapeutique qui consiste à soigner un individu ou à le soulager de ses maux. En Afrique, par exemple, les cérémonies d’exorcisme (ndëpp) sont thérapeutiques. L’art africain est présent à travers les danses, la musique, les statues, les masques, la sculpture et renferme des fonctions sociales et magico religieuses. Ceci est la preuve que l’art africain n’a pas pour but le beau ou le divertissement, mais l’utile. L’art a aussi une fonction subversive lorsqu’il s’engage dans la lutte pour une cause. Par exemple, l’artiste utilise sa plume, sa voix ou son pinceau au service d’une cause. Ici, l’art consiste à éveiller ou à conscientiser les populations pour les amener à prendre leur destin en main. Sous ce rapport, Frank Kafka s’interroge en ces termes : « Si les livres que nous lisons ne nous réveillent pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon les lire ? ». Cette fonction de l’art est contestataire à l’instar de l’œuvre d’Aimé Césaire qui dénonce la domination étrangère. Il disait : « Ma bouche sera la bouche des malheureux qui n’ont point de bouche ; ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». L’art a une fonction expressive lorsque l’artiste exprime ou dévoile ses sentiments, ses idées, ses rêves, ses espoirs, ses désespoirs etc. L’artiste les partage avec autrui. Ainsi, faire de l’art, c’est communiquer, sortir de soi-même pour aller vers autrui. On note aussi la fonction impressive lorsque l’artiste fait un effet chez autrui et suscite des sentiments en lui : des sentiments de joie ou de peine, de bonheur ou de dégoût, d’espoir ou de désespoir, de quiétude ou d’inquiétude etc. On peut également relever la fonction pédagogique de l’art qui, à travers les fables et les contes, dégage des leçons de morale.