Des connaisseurs (critiques d’art, rats de bibliothèque, spécialistes…) ont sillonné l’itinéraire de production romanesque des écrivains négro-africains dans le temps. Ils ont alors constaté une courbe d’évolution qui emboîte le pas (suit de très près) à l’actualité historique du continent, de 1920 aux années quatre-vingt. En effet, on remarque la production de trois catégories de romans selon les thèmes et qu’on peut baptiser selon les dénominations suivantes : romans de consentement, romans de contestation, romans de désenchantement.
I. LES ROMANS DE CONSENTEMENT.
”consentement” vient du verbe ”consentir” qui signifie ”accepter, approuver, tomber d’accord”. Qu’est-ce qui justifie cette attitude reconnaissante des romanciers négro-africains dans leurs écrits, vis-à-vis du monde occidental ? Pour convaincre l’opinion internationale que la colonisation était une mission civilisatrice et pacificatrice, les Occidentaux avaient convoyé toutes leurs découvertes scientifiques et techniques dans les colonies. Les Blancs voulaient ainsi montrer que l’Europe était vraiment l’AMIE (un jeu de mot) de l’Afrique par le biais de l’Alphabétisation (écoles), la Médicalisation (hôpitaux), l’Industrialisation (infrastructures), l’Évangélisation (églises). Par conséquent, en signe de reconnaissance, loyauté, de remerciement, des romanciers africains produisaient des oeuvres qui faisaient l’éloge de l’arrivée des Occidentaux dans les colonies. C’est l’exemple de Mapathé Diagne dans Les Trois volontés de Malick (1920), Bakary Diallo dans Force-bonté (1926), Ousmane Socé dans Karim (1935).
Puisque, comme le dit l’adage, ”qui ne dit mot consent”, on range aussi, dans cette catégorie de romans, les oeuvres d’auteurs qui ne faisaient pas de l’actualité coloniale leur source d’inspiration, à l’instar de Laye Camara dans L’Enfant Noir (1954).
II. LES ROMANS DE CONTESTATION.
”Contestation” vient du verbe ”contester” qui signifie ”s’opposer, désapprouver, refuser”. Pourquoi remarque-t-on cette attitude contradictoire des romanciers négro-africains ? En réalité, ces derniers se sont rendus compte que toute cette prétendue mission civilisatrice et pacificatrice des colons, formulée par cette fameuse et fallacieuse théorie de la ”table rase”, n’était que de la poudre aux yeux (illusion, pur mensonge). L’Afrique avait belle et bien une civilisation (basée sur l’oralité) et vivait heureuse avant l’arrivée des troupes coloniales françaises. Pour en avoir l’illustration, il suffit de lire Batouala, véritable roman nègre (1921) du Martiniquais René Maran, la trilogie du Camerounais Ferdinand Oyono (Le Vieux Nègre et la Médaille, 1954; Une Vie de Boy, 1956; Chemin d’Europe, 1959) ou encore Les Bouts-de-Bois de Dieu du Sénégalais Ousmane Sembène…
III. LES ROMANS DE DÉSENCHANTEMENT.
”Désenchantement” vient des verbes ”désenchanter (être) et ”déchanter (avoir)” qui signifient ”décevoir, désillusionner, trahir”. Comment des romanciers en sont-ils arrivés à ce stade, alors que leur littérature engagée avait obtenu gain de cause, grâce au départ des envahisseurs blancs ? Nombreux étaient ceux qui avaient accueilli à bras ouverts l’arrivée des indépendances au début des années soixante. La plupart s’attendaient à des lendemains meilleurs, maintenant que les Africains tenaient les rênes de leur propre destinée. Ndékétéyô ! (Rires) La montagne d’espoir suscitée par l’acquisition des indépendances a accouché d’une souris. En effet, des Africains se comportaient d’une façon pas très ”catholique” avec leurs propres compatriotes. C’est l’exemple de plusieurs dirigeants africains portés au pouvoir par un peuple débordant d’espoir ; ils usaient de tous leurs moyens pour se maintenir au pouvoir afin de se remplir les poches. C’est le cas de certains haut-placés favorisés par le sort ; ils minimisaient sans ménagement les administrés. C’est également le constat chez des déracinés qui rejetaient leurs propres cultures pour épouser la civilisation occidentale. Aucun de ces trois n’a échappé à la critique vilipendaire des romanciers négro-africains. Mbaam dictateur de Cheik Aliou Ndao, Les Soleils des Indépendances de Ahmadou Kourouma, La Plaie de Malick Fall en font le portrait tout craché.
LE MOT DE LA FIN.
Somme toute, la production romanesque des écrivains négro-africains, de ses débuts à nos jours, a épousé la trajectoire de l’évolution, l’actualité historique de l’Afrique. Que faut-il répondre aux détracteurs de la littérature africaine qui qualifient celle-ci de démodée ? Une littérature n’est jamais démodée comme peuvent l’être les ”ndokét”, les ”thiaaya”. (Mdr…) D’une part, jusqu’à présent, la colonisation se poursuit sous une forme nouvelle et l’état d’esprit de certains Africains n’a toujours pas encore évolué dans le bon sens (donc l’esprit contestataire de l’écrivain négro-africain n’a pas encore pris fin). D’autre part, la Négritude a pris un nouvel élan pour puiser sa source d’inspiration dans cette ruée vers l’Europe de la nouvelle génération. C’est justement cette dernière forme de littérature (avec de brillants auteurs comme Fatou Diome, Mohamed Lamine Diaw, …) qui est la nouvelle tendance des écrivains négro-africains et qu’on surnomme la ”Migritude”.