La métaphysique

1- L’histoire du vocable métaphysique :

Dans l’existence de toute chose, il y a des aspects physiques ou sensibles et des aspects métaphysiques ou intelligibles. Est métaphysique tout ce qui existe et qu’on ne peut saisir par les 5 sens. La métaphysique est composée du suffixe « méta » qui veut dire au-delà et du radical « physique » qui signifie physis ou nature en grec. On doit le terme métaphysique à Andronicos de Rhodes (1er siècle avant J. C.) qui, en procédant à la classification des œuvres d’Aristote, a remarqué qu’il y a parmi ces œuvres qui ne traitaient ni de politique, ni d’éthique, ni de logique c’est-à-dire du cadre physique ou terrestre. Ces écrits traitaient de l’âme, du monde, de Dieu etc. qui sont des objets situés au-delà du monde sensible. Andronicos de Rhodes les classa sous le nom de « méta ta physica » ou Métaphysique. Mais les expressions qu’Aristote avait retenues étaient « la science des premiers principes et des premières causes » ou « la philosophie première », ou encore « la science de l’Etre en tant qu’être ». A travers ces différentes appellations qui signifient la même chose, Aristote se demandait s’il existe un être qui serait à l’origine de tous les autres êtres. Un être sans lequel tous les autres êtres ne seraient pas, un être qui serait au-dessus de tout le monde, qui serait unique, éternel, infini et parfait. Ainsi, on peut se rendre compte que toutes ces propriétés ne sauraient appartenir à un être humain, car l’homme est faillible et imparfait. Ces propriétés appartiennent, au contraire, à Dieu. Au-delà de son aspect divin, la métaphysique recherche l’origine ultime des choses ou leur sens à travers la question du pourquoi. D’ailleurs, André Lalande la définit comme « la connaissance de ce que sont les choses en elles-mêmes par opposition aux apparences qu’elles présentent » ou encore « la connaissance des êtres qui ne tombent pas sous les sens ».

2- Les défenseurs de la métaphysique :

La métaphysique va régner jusqu’au moyen âge et retiendra l’attention de Descartes. Ce dernier cherchait un fondement à la philosophie et il l’a obtenu dans la métaphysique. On peut retrouver l’idée de la métaphysique comme fondement de toute chose dans l’exemple de l’architecture. En d’autres termes, la résistance d’un bâtiment dépend de son fondement : plus le fondement est solide, plus le bâtiment est solide. Mais si le fondement est fragile, le bâtiment risque de s’écrouler. Dans une célèbre métaphore, Descartes fait cette comparaison : « La philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches qui se réduisent à trois principales que sont la médecine, la mécanique et la morale ». Ces deux exemples montrent l’importance de la métaphysique, car ni le fondement du bâtiment ni les racines de l’arbre ne sont visibles, et pourtant sans eux rien ne peut tenir. Ce qui signifie que toute chose visible repose sur de l’invisible.
Le but de la métaphysique est de saisir par la raison la réalité cachée, celle qui est voilée et qui se situe derrière le monde des apparences. Mais est-il possible d’accéder à cette réalité ? Oui répond Platon. A son avis, l’homme peut accéder aux Idées, c’est-à-dire au monde intelligible, monde de la vérité, opposé au monde sensible fait d’erreurs et d’illusions. Selon Platon, on ne peut faire de science que du monde intelligible. Du monde sensible, on ne peut rien connaître du fait qu’il est sans cesse changeant ; en plus de cela les sens trompent. La vraie connaissance est celle des essences qui sont immuables, éternelles. Descartes considère également qu’on peut connaître le monde intelligible. Pour lui, la métaphysique est la première des sciences et la science sans laquelle aucune autre science n’est possible. Mais d’autres philosophes rejettent la métaphysique qu’ils considèrent comme une pseudoscience et pensent qu’elle ne peut rien apprendre à l’homme de concret sinon l’enfoncer dans l’illusion de connaître les choses cachées.

3- Critiques de la métaphysique :

La métaphysique a fait l’objet de plusieurs critiques de la part des matérialistes et des empiristes. Pour le matérialisme, toute connaissance passe nécessairement par l’observation des phénomènes et pour l’empirisme toute connaissance passe par l’expérience. Selon l’empiriste, Hume, la métaphysique pousse l’esprit à sortir du cadre du monde physique et elle n’est qu’illusions et sophismes. Kant sera influencé par Hume sur les limites de la raison, et il l’avoue en ces termes : « Hume m’a réveillé de mon sommeil dogmatique » (Prolégomènes à toute métaphysique future…). Selon Kant, il n’est pas possible de connaître le monde des noumènes comme Dieu, l’âme, le paradis, l’enfer etc. par opposition au monde des phénomènes, c’est-à-dire le monde dans lequel nous vivons. C’est ce qui l’a amené à fixer les limites de la raison. Cette dernière ne peut pas connaître Dieu, l’âme ou l’au-delà, c’est plutôt la foi qui les ressent. Et c’est ce qui pousse Blaise Pascal à dire : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison » ou encore « Dieu ne se prouve pas, il s’éprouve ». Voilà pourquoi la métaphysique, dans son projet de connaître le fond des choses par la raison, a échoué. Pour Kant, elle ne peut pas être une science. Et c’est ce qui l’amène  à dire que « la métaphysique est un champ de bataille où il n’y a ni vainqueur ni vaincu » (Critique de la raison pure). Même s’il ne la considère pas comme une science, Kant soutient que la métaphysique est un besoin vital pour l’homme.
Karl Marx, pour sa part, estime que la métaphysique est un instrument de domination des bourgeois sur les prolétaires. Les marxistes considèrent que la métaphysique est une fiction idéologique de la bourgeoisie. Ils estiment qu’elle doit être rejetée, car elle divertit les prolétaires au lieu de les conscientiser sur leur sort désolant ou de les aider à combattre les inégalités sociales. Auguste Comte s’est également dressé contre la prétendue supériorité de la métaphysique et rejette son statut de connaissance fondatrice ou supérieure. Pour Comte, la métaphysique est dépassée et il l’explique à travers la loi des trois états de l’esprit humain : la pensée théologique qui correspond avec l’enfance de la raison, la pensée métaphysique qui correspond avec l’adolescence de la raison et la pensée scientifique ou positive qui correspond avec la maturité de la raison.
Parmi les critiques les plus sévères contre la métaphysique, on peut retenir celles de Nietzsche. Pour lui, s’attacher à la métaphysique, c’est se conduire comme un « vaincu ». Il estime que ce sont les « vaincus » et les « ratés » de la vie concrète qui ont créé « cet arrière monde métaphysique pour calomnier le monde concret ». Nietzsche trouve que la métaphysique est au secours des impuissants qui n’ont rien à espérer de cette vie et qui, imaginairement, se créent un au-delà et Dieu pour pouvoir supporter leurs peines. Il dit à ce propos « Soyez fidèles à la terre, l’au-delà n’existe pas ». Et dans une autre formule de mise en garde, il dit : « Méfiez-vous de tous ces prêtres qui vous font croire en un au-delà alors que nous n’avons pas épuisé le sens de la terre. Le sens de la vie mes frères, c’est le sens de la terre ».
Malgré toutes ces critiques, peut-on dire que l’homme peut se passer de la métaphysique ? Non, diront certains philosophes qui pensent que l’homme a une disposition naturelle qui le porte à s’interroger sur son origine et son existence. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les propos de Schopenhauer selon lesquels « l’homme est un animal métaphysique ». En somme, même si la métaphysique n’est pas une connaissance exacte, elle demeure quand même une préoccupation inévitable, d’où la réhabilitation de la métaphysique.

4- Nécessité et actualité de la métaphysique :

En dépit des critiques qu’elle a subies, la métaphysique semble de plus en plus d’actualité face au désir et à la curiosité de l’homme de connaître ce qu’il y a au-delà de la terre. Pourtant, sur le plan technique ou matériel, la science satisfait l’homme en lui procurant beaucoup de choses. Mais sur le plan spirituel, la science est incapable de combler le besoin de l’homme et d’apaiser son angoisse sur des questions existentielles comme : d’où venons-nous, où allons-nous, qu’est-ce que l’homme ? Même si la science a investi plusieurs domaines de la vie de l’homme en essayant de le rendre heureux, elle n’a pas pu liquider la métaphysique qui demeure un besoin vital. C’est ce que montre Kant qui, bien qu’ayant récusé la métaphysique comme science, soutient qu’il est difficile sinon vain de vouloir y renoncer. Il dit : « La métaphysique est pour l’homme un besoin vital et il serait illusoire de voir l’homme y renoncer un jour tout comme l’homme ne renoncerait pas à respirer sous prétexte que l’air serait pollué ». C’est la même idée que l’on retrouve chez Schopenhauer selon qui l’homme est un animal métaphysique, c’est-à-dire un être qui ne peut pas se passer de questions qui le dépassent parce qu’il est curieux par nature. En vertu de cette curiosité, l’homme se pose des questions du genre : d’où vient l’homme, où va-t-il, quel est le sens de la vie, le sens de la mort, existe-t-il une autre vie après la mort ? etc. Pour montrer que la métaphysique n’est pas encore liquidée, Georges Gusdorf déclare : « Loin d’affirmer la décadence de la métaphysique, il faudrait bien plutôt souligner qu’elle est, en un certain sens, universalisée, qu’elle a acquis une sorte de suprématie ». Ceci pour dire que la métaphysique est inébranlable, elle est plus présente aujourd’hui qu’hier.